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HUGGYHOME

Rencontre au pays sarcoïde

16 Mars 2006 , Rédigé par Seb Publié dans #NOUVELLES

Riante Berck-Plage

 

 

 Vous avez sans doute remarqué que huggyhome accueille une philologue dans sa rubrique « littérature ». J’ai nommé Marie Rnnd, un spécimen que je connais depuis déjà quelques années et que je ne vous recommande pas si vous avez des soucis avec la grammaire.

 

Je me souviens du jour où je l’ai rencontrée ; convalescent, je me baladais au bon air sur la promenade commerciale de Berk-Plage ; je déambulais avec les autres rescapés, terreux et déplumé, nous errions en troupeaux hagards sur le front de mer. J’étais optimiste, car je venais d’échapper à la mort : les derniers miasmes de la grippe du poulet s’envolaient avec les vents du printemps 2011. J’avais été malade, comme tous ceux-là, et, sitôt moribond, on m’avait envoyé en quarantaine dans un de ces immenses mouroirs du Pas-de-Calais, d’où l’on venait juste de me laisser sortir.

J’avais un traitement aux vitamines qui désordonnait mes mouvements. Aussi dus-je m’asseoir à la première terrasse venue : j’avais des vapeurs. Marie (j’apprendrai son prénom plus tard) était déjà assise là, impassible malgré mon atterrissage d’urgence. De mon côté, je ne faisais pas plus attention à elle, car je tentais surtout de garder le contrôle de mon corps. Je lui adressai à peine un vague signe de tête : elle sirotait quelque chose qui ressemblait à du Martini à travers le filtre de son masque brodé. Elle portait un voile noir sur les cheveux et grand imper sombre. Comme je ne prends plus jamais d’alcool, je fus agacé par sa boisson… Pour finir, je reniflai bruyamment – je repensais aux effets de ce poison si doux, et je me commandai alors un café serré. On a les drogues qu’on peut… Une patrouille-santé passa devant le bistro.

Je reprenais mes esprits.

J’avais du travail à faire, trois semaines de notes manuscrites à mettre au propre, je le tenais, mon succès littéraire ! Je posai sur la table mon vieux pc portable, mon bloc-note, en respectant bien la frontière invisible entre son espace supposé et le mien. Je laissais vagabonder mes pensées, selon ma méthode habituelle, quand je surpris un regard fouineur qui voletait au raz de mes notes. Je cachais mes copies derrière le coude.

Elle me demanda sans remuer les lèvres :

 

« - Vous écrivez ?

 

Je fronçais les sourcils, troublé. En cette époque d’Etat d’Urgence Sanitaire, il valait mieux n’adresser la parole à personne… Poliment, je préférai ne pas répondre En ce temps-là, je ne portais déjà plus de masque hygiénique et j’attirais l’attention des autorités : la patrouille en combinaisons revint nous renifler les bas des pantalons, puis s’en retourna chasser l’Asiate, vecteur de propagation du mal, selon la terminologie en vigueur ; on était bientôt à la fin de mandat du Président Sarcoïde, et les Brigades Antivirus faisaient feu de tout bois. C’est pourquoi les contacts verbeux me paraissaient encore dangereux : je griffonnais un « oui » nébuleux au coin de mon agenda, suivi d’un « Ça se voit ? » ajouté au crayon à papier.

 

-         Vous n’êtes pas très discret, chuchota –t-elle. Est-ce que je peux lire ? J’écris aussi. 

 

Si elle était amatrice, j’allais peut-être y gagner une nouvelle lectrice… En un temps où le roman ne faisait plus vivre son homme, c’était toujours ça de pris… Je lui passai quelques passages imprimés que je lui laissai le temps de lire. Je guettais l’étincelle sur ses traits, mais, dissimulée par son attirail respiratoire, j’avais du mal à interpréter ses mimiques. Il me sembla qu’elle riait. Pourtant mon texte n’avait rien de drôle, c’était le témoignage de mon enfermement dans les camps de la mort grippale… Elle me rendit les pages, puis se remit à observer l’étendue de sable qui s’étirait à nos pieds. J’ai horreur de demander aux gens ce qu’ils pensent de mon travail. Je préfère quand ils sont spontanés.

 

« -Alors ?

 

En sus de l’humiliation, cela me fit une sacrée impression car je n’avais pas utilisé ma voix depuis des lustres.

 

« -Alors ? Hm… C’est intéressant… Très intéressant : il y a de l’action, du vocabulaire, des émotions... Mais c’est dommage : c’est bourré de fautes ! Vous avez déjà entendu parler de l’orthographe ?

 

Ah ! L’orthographe… J’en étais désolé, on me faisait toujours le même reproche… Mais l’idée générale, est-ce qu’on la sentait passer ? L’important, dans mon écriture, c’était le fil conducteur. C’est ce que je le lui fis comprendre par signes discrets. Elle répondit d’une voix nasillarde, car elle avait, je crois, le don de ventriloquie :

 

« - Je ne dis pas que ce que vous écrivez-là est tout à fait dénué de sens, mon garçon, et vous avez certes de l’imagination. Mais vos grandes idées s’empêtrent dans les fautes d’accord et la concordance des temps, on ne peut presque pas lire le texte, tant on est ralenti par les obstacles !

 

J’étais vexé. J’essayais de ne pas bouder, mais, si elle était si maligne, elle n’avait qu’à me les montrer, ses textes, on aurait pu comparer ! Elle me rendit ma copie toute hachurée de rouge et de points d’interrogation. Elle farfouilla au fond de son fourbi et exhuma quatre feuillets au graphisme précis. Je m’emparai de ses prétendus chefs-d’œuvre et dévorai fébrilement ce que je parvenais à déchiffrer – cela faisait des années que plus personne n’utilisait le stylographe. C’était les pages d’un petit dictionnaire -bien sûr sans l’ombre d’une faute d’orthographe- dont les définitions, claires et insolites étaient bourrées d’humour ; en plus, j’apprenais quelque chose de nouveau à chaque paragraphe.

Je reposai le tout sur la table, abattu.

Elle récupéra son bien qui menaçait de s’envoler dans la brise de mer. Sans tiquer, je m’étais efforcé de garder un visage impassible. J’aurais aimé avoir écrit ça moi-même... Je fis un petit commentaire au crayon en bas de la dernière page, où je dénonçais la forme un peu vieillotte et surannée, je disais en substance que la poésie n’était plus de ce temps, et je donnais un tas de conseils sur le rythme d’un texte.

            La Patrouille Hygiénique repassa deux fois devant nous et nous dûmes nous séparer, non sans avoir échangé nos pseudonymes. Depuis, Marie Rnnd corrige mes fautes d’inattention et je lui propose des synonymes. Une collaboration ponctuée de coups de gueule, car elle a le chic pour appuyer là où ça fait mal.

 

Et puis un jour, je me suis décidé à la présenter à François, le rédac-chef. Je suis allé chez lui avec les copies de Marie sous le bras, il était dans sa piscine, son majordome m’a servi quelques rafraîchissements, il a lu et il a dit ok. Mais je crois que j’ai fait une grosse bêtise : Marie Rnnd va me voler la vedette.

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T
Les frères, ce sont les Vohorlov.
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M
plus de 25, mais moins de 52, et tu craches dans la soupe mon garçon. elle en est où cette traduc?quant aux patrons du bas poitou, j'ai toujours pensé qu'ils s'occupaient exclusivement à battre le beurre avec les célèbres frères Bogdanoff, ou Strogonoff, je sais plus, les deux jumeaux qui se déguisent en cosmonautes pour raconter des inepties à la télévision.et puis je crois que je vais plus vous causer à tous les deux, vous êtes trop chiants, vous feriez mieux d'aller planter des oeufs ou greffer des concombres. et n'allez pas croire que j'ai inventé cette histoire d'oeufs, j'ai vraiment vu un chinois faire ça. mais il m'a répondu sans aucune humilité d'ailleurs qu'il ne plantait pas des oeufs, mais qu'il les faisait cuire. du coup, je ne peux plus envoyer quelqu'un se faire cuire un oeuf sans lui conseiller les gants de jardinage, mais boah...
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T
Il paraît que dans le poitou charentes, si un epa tron prend des cne, il se retrouve sans ses subventions régionales. et toc. Et chez Fabius ?
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H
Mais je l'aurai eu dans l'os  car elle a plus de 25 ans , Houp ! il ne fallait peut être pas le dire ....
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M
cher huggy,nous savons tous que tu es partisan de la droite dure, celle de Sarko et consorts. jusque là, j'ai temporisé, allant jusqu'à ne pas mentionner devant toi mes farouches convictions politiques. mais je déteste les menaces sous-jascentes. en conséquence, je me démets ici, publiquement, de toutes les fonctions, notoires et secrètes, qui me liaient à toi, non par contrat, mais par pure complaisance.et toc, et trouve toi un autre prof d'anglais, qui te propose des traductions alliant l'utile à l'agréable, et re toc.
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