Café ?
Or donc, la compagnie avait acheté la dernière récolte au meilleur prix : bien meilleur que ceux proposés par les deux européens que l’on ne voyait plus. Bien meilleurs pour les acheteurs, j'entends. Le mandataire avait brandi sous le nez du conseil villageois les nouveaux actes de propriétés qui attribuait toutes les terres environnantes à l’Int. Pancoffee-Papir. Ambrose, le chef du village, n’avait pas eu beaucoup de marge dans les négociations, la coopérative n’avait plus d’autres débouchés que cette grande compagnie internationale. Il n’y avait plus vraiment de ventes, d’ailleurs, car la récolte de café et tout ce qui poussait sur ces terres appartenait désormais à ce puissant trust. Un peu d’argent fut versé sous la forme de salaires de misère, l’équivalent de 10 US $ par mois et par ouvrier. Autre avantage : en échanges de coupons, les paysans pouvaient toujours avoir accès à certains biens de consommations suffisants et nécessaires pour ne pas tout à fait mourir de faim. Tout juste bien calculé pile-poil. Lui, Ambrose, eut droit à du vrai argent, promu en tant que directeur de la nouvelle plantation. Un peu mieux. Juste de quoi acheter du café lyophilisé pour le petit déjeuner. On avait arraché la plupart des cultures vivrières traditionnelles, ainsi que les arbres et buissons qui protégeaient les plants de café anciennement cultivés : une nouvelle variété, résistante au soleil et bien plus conforme aux notions modernes de productivité et de baisse de coûts avait couvert la majeure partie des terres défrichées. Dans le même esprit, on avait remis les enfants du village au travail des champs. Il n’était plus question de se rendre à l’école : on était désormais bien trop fatigué pour étudier. Et de toutes façons, d’école, il n’y en avait plus, et on avait envoyé l’instituteur se faire pendre ailleurs : le bâtiment avait été réquisitionné pour servir d’entrepôt aux nouvelles récoltes plus abondantes. Quelques gardes, imberbes et menaçants, la kalach sur les genoux, veillaient à la sécurité du stock qui attendait gentiment qu’on l’embarque. C’était aussi –disait-on, pour protéger les populations. Les enfants soldats fumaient toute la journée des choses malsaines, affalés à l’ombre de grands arbres épargnés, ils jouaient aux dés, au backgammon, aux échecs, ils buvaient du thé et mâchaient de la kola. Cinq fois par jour, ils levaient le doigt en l’air, choisissaient le point cardinal adéquat et ils plongeaient le nez dans la poussière.